L’Essentiel du Bouddhisme

L’Essentiel du Bouddhisme

par Gonsar Tulkou Rinpoché

Lorsque nous parlons du Bouddhisme, nous faisons référence à un sujet extraordinairement vaste et profond. Bien que n’ayant moi-même étudié guère plus qu’une goutte de ce grand océan de connaissances, je présenterai ici une introduction courte et spontanée de certains points fondamentaux du Dharma.

La plupart des gens savent sans doute que le Bouddhisme est l’une des grandes religions du monde et que son origine remonte à Bouddha Shakyamouni, un personnage historique né au VIe siècle av. J.-C. à Lumbini (Népal). Peut-être connaissez-vous aussi certains de ses hauts faits. Comme d’en narrer l’intégralité prendrait trop de temps, nous nous contenterons d’en citer les principaux.

Bouddha manifesta l’accomplissement de l’illumination complète à l’âge de trente-cinq ans et vécut jusqu’à huitante-et-un ans. Entre l’accomplissement de l’illumination et son Parinirvana, il consacra la majeure partie de sa vie à enseigner.

Le premier enseignement donné par Bouddha porte sur les Quatre Nobles Vérités : la Noble Vérité de la Souffrance, la Noble Vérité de la Cause, la Noble Vérité de la Cessation (ou Noble Vérité de la Libération) et la Noble Vérité du Chemin. Cet enseignement fut suivi d’une grande diversité d’autres instructions que Bouddha dispensa toujours en accord avec les besoins et les dispositions mentales de ses disciples.

Dans un premier temps, les enseignements du Bouddha se diffusèrent largement en Inde. Au Tibet, le premier contact avec le Dharma eut lieu au VIIe siècle ; en reconnaissant immédiatement l’extraordinaire valeur, les Tibétains déployèrent de grands efforts afin d’introduire la doctrine dans leur pays natal. Nombreux furent ceux qui voyagèrent en Inde pour y étudier le Bouddhisme, dans le même temps où un petit nombre d’éminents Maîtres indiens fut invité à enseigner au Tibet.

Initialement, les Tibétains personnifiaient « les gens derrière l’Himalaya » et, comme tous les peuples montagnards, ils étaient robustes et plutôt sauvages. En ces temps, les Tibétains aimaient se battre. Ils possédaient de puissantes armées et guerroyaient dans toutes les directions. Ce n’est qu’après avoir rencontré les enseignements du Bouddha que ces êtres sauvages furent domptés. Les Tibétains se transformèrent en un peuple doux et le pays bénéficia remarquablement et par de multiples aspects de la pratique du Dharma.

Décrivons brièvement ce qu’est le Bouddhisme. Le véritable point central de tous les enseignements du Bouddha est les êtres, c’est-à-dire les êtres vivants, les êtres sensibles (Sattva ou Prāñinn). Ce n’est ni le Bouddha, ni l’accomplissement de pouvoirs surnaturels, ni encore quelque dieu ou quelque thématique philosophique. Rien de tout cela n’est le point central du Bouddhisme, seuls les êtres sensibles, les êtres dotés de vie, le sont. Comprenons par « êtres sensibles » tous ceux qui possèdent un esprit, ou une conscience (Citta ou Mana).

Quelles sont les caractéristiques des êtres possédant une conscience ? L’esprit de ces créatures leur permet de percevoir, de reconnaître, de comprendre et aussi d’expérimenter le bonheur et la souffrance. Dans l’éventail des existants, nombreux sont les phénomènes dépourvus d’esprit. Ces derniers – voitures etc. – sont par conséquent incapables de connaître ou d’expérimenter le bonheur et la souffrance. Les êtres sensibles possèdent un esprit et ressentent bonheur et souffrance. Nous autres, êtres humains, ne sommes pas les seuls à avoir cette caractéristique : il existe beaucoup d’autres êtres qui connaissent et ressentent tout comme nous, mais sous différentes formes extérieures.

Tous les êtres humains et les animaux, jusqu’aux plus minuscules insectes, ressentent le bonheur et la souffrance. Non seulement nous subissons ces expériences, mais de plus nous partageons un égal désir d’obtenir le bonheur et d’être séparés de la souffrance. Du reste, tous les êtres ont le même droit à vivre heureux et à éviter les souffrances.

Pratiquer la religion requiert donc des efforts ciblés directement sur ces expériences. Du fait que les êtres, dotés d’un esprit, possèdent les qualités d’aspirer au bonheur et de chercher à éliminer les souffrances, nous pouvons parler de la nécessité et de la valeur d’une pratique religieuse. Sans être reliée aux êtres sensibles ni à leurs sentiments, la pratique religieuse n’aurait que peu de signification. Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une caractéristique unique aux enseignements du Bouddha mais, bien plus, du but réel que partagent toutes les religions.

Pour résumer les pratiques du Bouddhisme, nous pouvons parler des vues (Dristi), de la conduite ou du comportement (Charyā), et de la méditation (Bhāwanā). Ce sont les trois aspects de la pratique bouddhiste. Pour qu’une pratique spirituelle valable soit complète, elle doit impérativement contenir ces trois aspects.

Une vue pure et correcte est nécessaire. Actuellement notre esprit manque de clarté, il est rempli d’ignorance, et nous ne pourrons obtenir la capacité de percevoir correctement ce qui est et ce qui n’est pas qu’en développant une vue pure. C’est uniquement sur la base d’une vue correcte que nous pouvons connaître la vérité.

Une telle vue ne peut pas apparaître fortuitement sous une forme ou sous une autre. Elle doit contenir la base, le chemin et le but. Cela signifie qu’elle inclut une compréhension précise de notre situation actuelle, du processus de transformation ainsi que du but à atteindre. En d’autres termes, les phénomènes doivent être compris en fonction de leur mode d’existence véritable, en tant que réalité, sans fantaisies ni fabrications. Telle est la vue correcte.

Cependant la vue correcte est à elle seule insuffisante : elle restera inutile si notre conduite ne s’y accorde pas. De fait, notre comportement physique, verbal et mental est d’une importance cruciale car nos expériences en résultent. Nos expériences de bonheur et de souffrance sont déterminées par notre type de comportement et non par la philosophie que nous avons adoptée. Cela fonctionne ainsi aux deux niveaux, individuel et collectif.

C’est pourquoi agir d’une manière correcte et bénéfique, tout comme éviter les comportements destructeurs, est particulièrement important et nécessaire. Qu’entend-on par bénéfique et par destructeur ? Les actions entraînant directement ou indirectement la souffrance pour soi-même et pour autrui sont destructives. Les actions qui provoquent un véritable bien-être pour soi et pour les autres, momentanément comme ultimement, sont bénéfiques. Nous devons donc éviter les actes nuisibles et nous engager dans les actions bénéfiques.

Ainsi l’éthique est un point capital du Bouddhisme. Il existe différents degrés d’éthique en fonction de notre niveau de développement mental mais leur racine commune est Ahimsa : l’absence de nuisance. C’est-à-dire, n’infliger aucun mal à aucun être vivant. Que ce soit par notre corps, par notre parole ou par notre esprit, nous devons absolument éviter de nuire à la vie d’autrui. Éliminer toute intention de nuire aux autres et les aider aussi bien que nous le pouvons est le sens de l’éthique dans le Bouddhisme.

Pour dissiper toute nocivité et pour aider pleinement les êtres, nous devons totalement éliminer l’égoïsme. Tant que l’égoïsme ne sera pas complètement éradiqué, il sera impossible d’éviter l’ensemble des nuisances et de profiter entièrement aux autres. Par conséquent l’égoïsme est un défaut d’une extrême gravité. Il nous faut l’affronter, le surmonter et l’éliminer, mais ce n’est pas une perturbation que l’on supprime aisément. Il existe plusieurs degrés d’égoïsme entre le niveau très grossier et le niveau le plus subtil. Nous pourrions être capables de maîtriser l’égoïsme dans son niveau le plus grossier durant un certain temps, mais pour en éliminer toutes les formes jusqu’aux plus subtiles, nous devrons nous entraîner pendant très longtemps. De ce fait, garder une conduite pure, ou un comportement correct, est un point essentiel du Bouddhisme.

Lorsque nous aurons obtenu cette base d’une vue correcte et d’un comportement correct, pratiquer la méditation s’avérera alors fort utile. Tenter de pratiquer un quelconque type de méditation sans la base d’une vue pure et d’un comportement pur ne serait d’aucune utilité. Pas même une seule vraie méditation ne peut être pratiquée sans ces deux aspects. Il en est ainsi car la méditation n’est pas une simple relaxation, il s’agit au contraire d’un entraînement graduel de l’esprit. L’esprit ne peut être entraîné et éduqué que si nous avons la clarté d’une vue pure et si nous suivons un comportement vertueux. C’est pourquoi l’ensemble de ces trois facteurs doit être réuni.

Si, par exemple, nous voulons construire une maison, nous nécessitons d’un terrain sur lequel l’ériger ainsi que des solides fondations. Nous avons ensuite besoin des matériaux de construction tels que les briques et le bois. Une fois en possession du terrain et des matériaux, nous pourrons commencer la construction proprement dite et progresser jour après jour. Similairement, nous nécessitons du terrain d’une bonne éthique tout comme nous avons besoin des matériaux issus d’une vue pure. Lorsque nous détiendrons l’un et l’autre, nous pourrons commencer la construction effective par la méditation. C’est là le véritable développement à travers l’entraînement de l’esprit.

Si nous voulons suivre le chemin de la méditation, nous avons besoin d’un Maître qualifié. Ce n’est que grâce aux instructions d’un tel Maître que nous pourrons avancer correctement sur la voie de la méditation et atteindre sa finalité. En déployant des efforts par nous-mêmes et en pratiquant au hasard, il sera impossible de faire le moindre véritable progrès.

Lorsque nous construisons une maison, nous devons suivre les directives d’un architecte qualifié. Si nous débutons la construction sans l’assistance des personnes compétentes, il est fort probable que notre édifice s’effondre rapidement. Similairement, pour ériger une structure dans notre esprit nous avons besoin d’un conseiller expérimenté qui puisse nous instruire.

Nombreux sont ceux qui pensent que la méditation est une simple détente de l’esprit alors que cela ne représente absolument pas le véritable sens de la méditation. La méditation est un entraînement ciblé et une éducation précise de l’esprit. C’est une opération active : à l’inverse d’une relaxation, il s’agit plutôt d’un combat dans notre esprit. Pendant la méditation nous tentons une construction sur le plan mental alors que de nombreux facteurs mentaux se dressent comme autant d’obstacles entravants. Pour un débutant cela mènera sans aucun doute à un âpre combat. C’est pourtant de cette manière uniquement – et non en restant tout le temps endormi et paresseux – que nous pourrons obtenir des réalisations.

Pratiquer correctement la méditation est la meilleure méthode pour accroître et intensifier dans notre esprit les qualités extraordinaires de la compassion, pour développer la sagesse, la clarté mentale, et pour générer un amour pur. Mais si notre pratique est incorrecte, notre méditation deviendra l’un des meilleurs moyens de perdre totalement son temps. Il serait alors préférable de nous livrer à quelque activité physique ou verbale bien concrète, de sorte que nous produisions un résultat utile et tangible.

Lorsque nous débutons dans la pratique de la méditation, le plus problématique est notre manque de contrôle sur l’esprit. Pour apprendre à le contrôler, il faut en premier lieu développer la concentration. Actuellement notre esprit ne reste jamais tranquille : il est semblable à un drapeau agité par un vent violent. L'esprit doit d’abord s'apaiser légèrement pour devenir apte à suivre d'importantes lignes de pensées et de raisonnements. Tant qu'il demeurera dans un état constant de remue-ménage chaotique, il sera difficile de se livrer à des réflexions précises ou approfondies.

 

Bouddha présenta de nombreuses méthodes de méditation (Bhāwanā) que l’on peut classifier en deux aspects : la méditation concentrative (Sthāpita Bhāwanā) et la méditation analytique (Vichārita Bhāwanā). Ces deux types de méditation sont indispensables. La méditation concentrative isolée ne mène pas aux réalisations, ni la méditation analytique à elle seule. Il faut les combiner.

Pour méditer, nous pouvons adopter certaines postures physiques mais le plus important reste la position de l’esprit. D’aucuns pensent que la méditation se réduit à une seule attitude physique alors que cela n’est pas le cas. Tout le monde peut s’asseoir d’une certaine manière, pourtant le corps n’est pas ce qui médite ; c’est l’esprit qui médite.

Pour pratiquer la méditation il faut, en premier, disposer de la connaissance adéquate (Pragyā). Il existe trois types de connaissances : la connaissance par l’écoute ou par l’étude (Shroutimayi Pragyā), la connaissance par la réflexion (Cinntamayi Pragyā) et la connaissance par la méditation (Bhāwanāmayi Pragyā). Pour commencer nous devons acquérir une connaissance par l’étude, laquelle ouvrira la porte à la compréhension des points de la pratique. Cette connaissance pourra ensuite être approfondie à l’aide d’une réflexion claire et correcte qui mènera à une solide conviction. Et cette dernière connaissance pourra à son tour être développée à un niveau plus profond qui, par la pratique de la méditation concentrative et analytique, nous conduira à l’expérience d’une réalisation directe.

Nous n’avons pas l’opportunité d’exposer ici ce sujet en détail. C’est pourquoi nous nous contenterons de donner quelques explications complémentaires sur le premier des trois aspects de la pratique bouddhiste : la vue du Bouddhisme.

L’une des matières les plus importantes de la vue bouddhiste porte sur la description de l’esprit. En effet, comme nous l’avons mentionné en introduction, les êtres sensibles occupent le point central des enseignements du Bouddha et leurs expériences de bonheur ou de souffrance sont directement reliées à l’esprit. Bouddha a donc clairement expliqué que la vraie racine de toutes nos expériences de bonheur et de souffrances se trouve dans notre esprit.

Cette manière de percevoir les choses ne correspond pas à notre façon habituelle et spontanée de penser ; d’ordinaire, nous croyons plutôt que les causes de notre bonheur et de nos souffrances se trouvent à quelque part en dehors de nous. Lorsque nous expérimentons le bonheur et la souffrance, nous en rendons généralement responsables d’autres personnes ou des conditions extérieures. Nous pensons : « Oui, j’ai ressenti ceci à cause de lui. C’est de sa faute. » Nous pouvons aussi penser que la cause de nos expériences se situe au niveau de notre pays, de la maison dans laquelle nous vivons, ou encore que nos problèmes sont entièrement de la faute de notre voisin. Telles sont nos réactions habituelles quand nous expérimentons le bonheur et la souffrance. De plus, certains affichent des idées singulières et considèrent des forces occultes comme responsables de leurs souffrances ; ils imaginent que les souffrances ressenties leur sont infligées par des esprits démoniaques. En bref, leur point de vue consiste à croire que les causes de leurs souffrances résident à l’extérieur. La plupart des gens voient en leur ennemi la cause de leur souffrance et lorsque celle-ci se produit, elle surgit avec cette pensée : « C’est entièrement de la faute de cet ennemi si je dois subir un tel malheur. »

 

Quant au bonheur, nous en avons une approche similaire en ce que nous regardons les objets extérieurs comme des causes de bonheur. La source en est « lui » ou « elle », un autre pays, de l’argent, un objet dernièrement acquis ou une nouvelle philosophie vers laquelle nous nous tournons. En ces objets nous voyons les sources de notre bonheur. Ici encore, certains développent des idées quelque peu étranges et pensent qu’une bonne fée ou qu’un bon esprit leur apporte le bonheur.

Tous ces points de vue identifient au-dehors les causes du bonheur et de la souffrance. Il ne fait aucun doute que, parfois, les éléments extérieurs peuvent servir de facteur au bonheur et à la souffrance ; toutefois, nous les considérons comme la cause même de nos expériences alors qu’en réalité, ils ne le sont pas. Des faits extérieurs tels que le climat peuvent certainement servir de déclencheur à nos expériences, pourtant la cause réelle de notre bonheur et de notre souffrance, comme Bouddha l’a clarifié, ne se situe pas en dehors de notre esprit, mais bien à l’intérieur.

Les facteurs externes changent. Un vecteur qui génère initialement du bonheur peut se transformer en une cause de souffrance, et vice-versa. Une personne qui est un facteur de bonheur pour l’un sera une cause de souffrance pour l’autre. Et celui qui fut l’agent de notre bien-être dans le passé peut, par la suite, se transformer en un facteur de souffrance. De tels changements se produisent constamment. Ainsi les ennemis deviennent des amis et les amis deviennent des ennemis. Nous en faisons fréquemment l’expérience.

Pour de nombreux Orientaux, manger du piment rouge provoque un ressenti bienheureux ; pour beaucoup d’Occidentaux cependant, manger du piment peut se transformer en une indicible souffrance. Pour certains, manger de la choucroute est un pur bonheur tandis que pour d’autres, cela n’est définitivement pas le cas.

Bref, les facteurs extérieurs peuvent changer. Même des objets sacrés extérieurs comme les églises, les statues des Saints, les temples etc. ne sont des facteurs de bonheur et de bien-être que pour ceux qui ont la foi. Contempler ces objets leur donne un sentiment de dévotion qui suscitera leur bien-être et leur bonheur. Les Chrétiens ont des églises et les Bouddhistes ont des temples. Pour les fidèles de ces religions, la perception de tels objets avive la confiance et le bien-être dans leur esprit. En revanche, ceux qui n’ont pas la foi pourraient déprécier ces objets – ce qui est, du reste, le cas d’un grand nombre de personnes dans le monde. Pour ces dernières, les objets sacrés extérieurs ne sont en rien des vecteurs de bonheur et la seule vision d’une église ou d’un temple peut attiser en elles colère, gêne ou hostilité. À la question de savoir si ces objets sacrés sont utiles, la réponse est : oui, ils sont très utiles car nous pouvons en recevoir des bénédictions. Mais que nous en recevions des bénédictions ou pas, dépend de notre état d’esprit. En conséquence, les objets sacrés extérieurs restent uniquement des facteurs alors que la cause réelle se trouve dans notre esprit.

Bouddha a clairement expliqué que les véritables racines de notre bonheur et de notre souffrance résident dans notre esprit.

Quelles sont donc ces causes véritables de la souffrance ? Il n’y a là rien de mystérieux ni d’inconnu, bien au contraire. Ce sont des états d’esprit comme la convoitise (Rāga), la jalousie (Ishiryā), la colère (Krodha), l’orgueil (Abhimāna), l’avarice (Matsara) etc., soit des états mentaux que nous connaissons fort bien. Leur racine commune est l’ignorance de la saisie du soi (Ātmagrha) et l’égoïsme chérissant le soi (Ahampriyé). De fait, l’ignorance et l’égoïsme sont les véritables racines de la souffrance dans notre esprit.

L’ignorance et l’égoïsme sont des facteurs mentaux. Tant qu’ils resteront présents et forts dans notre esprit nous aurons à expérimenter la souffrance, quand bien même nous désirons en être libérés. Même dans un cadre idyllique, l’être égoïste ne sera jamais véritablement heureux ni n’expérimentera de vrai bien-être. Où qu’il se rende, les autres lui apparaîtront toujours comme des facteurs négatifs et où qu’il se trouve, il percevra ce lieu comme déplaisant car il considère les objets comme insatisfaisants dans leur ensemble. Quiconque accompagne une telle personne, où qu’elle aille, quoiqu’elle utilise, rien ne lui apportera jamais ni bonheur ni satisfaction.

Comme le disait mon Vénérable Maître, une personne intensément égoïste est comparable à un être dont le corps est entièrement recouvert de blessures. Il ne se sentira bien nulle part ; qu’il reste assis ou qu’il se déplace, il ressentira de la douleur. Le moindre contact sera éprouvant.

À l’opposé, les états d’esprit tels que le contentement, la satisfaction, l’amour pur et désintéressé, la compassion sincère, la patience, la vraie sagesse et l’affection pour autrui se trouvent aussi dans notre esprit. Ces états mentaux sont les causes véritables et effectives du bonheur. Lorsque ces facteurs sont en force dans l’esprit, assurément nous nous sentons bien quand les circonstances extérieures sont agréables, mais plus encore, même dans les situations adverses ces puissantes causes intérieures nous permettent de rester sereins.

Si quelqu’un réussit à débarrasser complètement son esprit de la colère et de la haine, il n’aura plus aucun ennemi nulle part dans le monde. Il en est ainsi car le terme « ennemi » est une étiquette, une désignation fabriquée par notre esprit. Aucun objet n’est ennemi de son propre côté. Par contre, tant que la colère restera présente dans notre esprit, les ennemis extérieurs seront foison.

Le Maître bouddhiste indien Shantidéva décrit cela à travers l’exemple suivant : nous ne pourrons jamais trouver assez de cuir pour recouvrir toute la surface de la terre et ainsi protéger nos pieds des épines, mais en enveloppant nos pieds de cuir nous arriverons au même résultat, puisque nous serons protégés partout où nous nous rendrons. Maître Shantidéva continue en nous expliquant cette analogie : si nous désirons surmonter tous nos ennemis en les convoquant, en discutant avec eux, en devenant leurs amis ou en leur offrant des cadeaux, le but escompté ne sera jamais atteint car le nombre des êtres est infini. En revanche, surmonter la haine et la colère dans notre esprit aura le même effet que de surmonter tous les ennemis. Rendre visite à chaque être humain et développer avec lui une bonne relation est impossible. Il est possible, par contre, de surmonter complètement l’irritation et la colère.

Dans le Bouddhisme les vraies racines de la souffrance, les causes intérieures, sont dénommées Klésha – un terme fréquemment traduit par « perturbations mentales ». Bien que ces perturbations puissent occasionnellement se manifester dans l’esprit sous une forme très forte, il est toujours possible de les en éliminer. Tout le monde possède les préalables indispensables pour éradiquer définitivement de l’esprit ces perturbations par l’application des bonnes méthodes.

Les perturbations mentales ne font pas partie de l’essence même de l’esprit dont la nature élémentaire est pure et sans défauts. Notre esprit est actuellement recouvert de nombreuses contaminations et perturbations tout comme un cristal, de nature limpide et translucide, se trouverait complètement enfoui dans la roche ; il est pourtant possible de briser cette roche et de dévoiler la nature claire et transparente du cristal. Similairement, il est possible de délivrer l’esprit des erreurs et des obstacles qui le recouvrent et, par cela, d’en libérer l’essence pure et claire. Si ces erreurs faisaient partie de la nature même de l’esprit, la situation serait désespérée. Nous serions alors incapables d’évoluer. Si tel était notre cas, tous nos efforts s’apparenteraient à ceux d’une personne s’efforçant de nettoyer un morceau de charbon jusqu’à le rendre blanc. Mais nous ne nous trouvons pas dans une telle situation. Au contraire l’esprit est, par nature, pur et libre de contaminations. Cette pure nature n’est que temporairement recouverte par les obstacles actuels et il est de ce fait possible d’en libérer l’esprit. Tout comme le ciel, clair et vide, peut passagèrement être encombré de lourds nuages qui seront pourtant rapidement soufflés par le vent.

C’est l’une des raisons démontrant qu’il est possible de séparer l’esprit des obstacles. Mais il en existe une autre : les défauts de l’esprit n’ont pas de fondement solide, ils s’échafaudent sur une vue erronée. Par exemple, si nous élaborons un grand projet sur la base d’un mensonge, nous pourrons nous en tirer jusqu’à un certain point mais tôt ou tard le mensonge sera démasqué et notre projet s’effondrera. Il en va de même pour les défauts de notre esprit tels que l’avidité, la haine, la jalousie etc. Ces travers peuvent temporairement être d’une force écrasante, pourtant ils n’ont aucune fondation stable. Ils reposent sur une vue erronée (Mithyadhristi) et sur l’ignorance (Avidhya).

C’est pourquoi le Bouddhisme insiste à désigner l’ignorance comme la racine de toutes les erreurs. Décrire ce qu’est l’ignorance dans son ensemble nécessiterait plus de temps car le sujet est passablement subtil. Nous nous contenterons donc d’une présentation sommaire. Nous possédons diverses connaissances : nous nous connaissons, nous connaissons d’autres personnes et différents objets. Nous connaissons tout cela mais la manière dont nous l’appréhendons ne correspond pas totalement à la réalité. Il s’y trouve toujours un facteur de projection, un facteur erroné et non conforme à la réalité. C’est ce que nous dénommons l’ignorance. L’avidité, la haine, la jalousie et tous les autres défauts sont enracinés dans cette ignorance.

À présent, quelle est notre erreur lorsque nous appréhendons les objets, notre propre personne et les autres êtres ? Nous-mêmes, les autres et tous les objets existent en réalité de manière interdépendante et par interrelation, alors que nous les percevons comme s’ils existaient de façon indépendante, de leur propre côté, sur un mode intrinsèque. Lorsque nous pensons à un ennemi, ce dernier paraît surgir de son propre côté comme s’il existait indépendamment en tant qu’ennemi, sur la base de son propre corps. Il nous semble pouvoir trouver l’ennemi en substance à quelque part dans ce corps.

Nous pouvons penser de nous-mêmes : « Oui, je suis ici et je suis important. » Et nous percevons cet important « je » comme si nous pouvions le trouver en nous-mêmes, à quelque part dans notre corps, comme un « je » puissant et indépendant, un « je » mystérieux. Qu’il s’agisse de notre propre personne, de nos amis ou de nos ennemis, nous appréhendons toujours tout sur ce mode concret.

À l’évidence, nous pouvons analyser cela par nous-mêmes. Avec la réflexion et l’investigation correctes, nous arriverons à reconnaître s’il en est ainsi ou non. Nous n’avons pas à croire les explications d’autrui car il nous suffit de regarder par nous-mêmes comment nous percevons les choses.

Ce type de perception correspond-il à la réalité ? La réponse est : non. Cette façon apparente d’exister ne concorde en rien avec la réalité, et nous pouvons facilement le comprendre. Prenons l’ennemi pour exemple : il nous semble être bien concrètement imbriqué dans une certaine personne. Recherchons plus précisément ce qui est l’ennemi dans cet individu. Serait-ce sa tête l’ennemi ? Serait-ce ses bras l’ennemi ? Serait-ce ses jambes ou son nez l’ennemi ? Aucun de ces éléments ne sont l’ennemi. Si nous approfondissons l’investigation et commençons à rechercher l’ennemi à l’intérieur du corps, nous n’y découvrirons que davantage d’entités fort problématiques à fouiller. Il s’y trouve de nombreuses choses, mais rien qui soit l’ennemi. Si les chercheurs scientifiques dissèquent une personne jusqu’à sa plus petite particule, ils n’y verront l’ennemi nulle part ; ils ne le détecteront pas même dans les quarks. Si quelqu’un procède à une méditation analytique pointue et cherche l’ennemi dans cette personne, il sera incapable de l’y trouver où que ce soit.

Nous pouvons rechercher l’ennemi dans l’individu tangible que nous considérons comme un ennemi et vis-à-vis duquel nous avons si spontanément et pour aussi longtemps que nous le souhaitons des réactions de colère, d’irritation et d’antipathie : nous ne le trouverons nulle part. Il en va exactement de même en ce qui concerne notre propre personne. Parfois nous pensons que nous sommes heureux, parfois que nous sommes tristes ou irrités. Si nous recherchons à l’intérieur de nous-mêmes ce « je », sujet de toutes ces expériences, nous pourrons scruter aussi longtemps que nous le voulons mais nous ne le découvrirons jamais. Ce genre d’investigations montre clairement que notre mode de perception ordinaire des choses est incorrect et erroné.

Dans ce cas, comment les objets existent-ils ? Ils existent de façon interdépendante (Pratitya Samoutpanna). Ils existent interdépendamment, par une relation mutuelle (Apékshita), et non pas indépendamment (Svatantraka), de leur propre côté. Nous-mêmes et les autres existons en dépendance de causes, de circonstances et de parties ; nous existons en dépendance de la conscience qui perçoit ces objets et en dépendance des désignations qui leur sont imputées, telles que « moi » et « toi ». Ce sont simplement des noms, des désignations. Les objets viennent à exister en dépendance de tous ces facteurs.

Les objets existent par un assemblage de causes, de facteurs, de noms, et par la conscience qui les perçoit. Voilà pourquoi ils existent en interdépendance, dans une interrelation mutuelle. Nous nous considérons comme très importants. Notre propre « moi » est très important. Pourtant, dans le monde entier nous ne sommes « moi » que pour nous-mêmes tandis que pour tous les autres nous devenons « toi », « lui » ou « elle », mais pas « moi ». Pour ceux qui se trouvent dans notre plus proche entourage, nous sommes « toi ». Pour ceux qui se tiennent légèrement plus éloignés, nous devenons « lui » ou « elle ». Et pour la plus grande majorité des autres personnes, nous n’avons plus la moindre importance. De fait, cela dépend aussi d’un point de vue, d’une perspective. L’interdépendance est égale que nous désignions l’une ou l’autre rive d’un cours d’eau comme étant « ce côté » ou « l’autre côté » : en fonction de l’endroit où nous nous trouvons, « ce côté » et « l’autre côté » sont interchangeables.

C’est ainsi que tous les objets existent en interdépendance. Nous pouvons bien sûr le comprendre par des raisonnements intellectuels mais, pourtant, cette compréhension ne change pas notre façon spontanée de percevoir ces objets. Au contraire, nous continuons à les appréhender comme s’ils avaient une existence intrinsèque. Et sur la base de cette fausse vue surgissent des états d’esprits tels que l’avidité, la haine, la fierté, la jalousie etc. Toutes nos conceptions erronées sont validées par cette ignorance fondamentale.

Tous les états d’esprit erronés sont donc ancrés dans une vue erronée fondamentale. Comme nous l'avons indiqué précédemment, en appliquant les efforts corrects ces perturbations mentales peuvent disparaître car elles sont basées sur une vue erronée.

De même, nous avons aussi en nous les graines, les potentialités des états d’esprits vertueux et bénéfiques. Toutes les créatures vivantes possèdent ces potentialités mais celles-ci sont particulièrement aptes à fonctionner chez les êtres humains. Et si nous faisons les efforts adéquats, nous pourrons les renforcer et les valoriser. Il n’est aucun état d’esprit qui ne puisse être développé et intensifié en s’engageant dans la familiarisation et dans les efforts appropriés, tous les facteurs mentaux positifs peuvent être développés et intensifiés si on leur applique la familiarisation nécessaire. Parmi ceux-ci, les plus importants sont la compassion, l’attitude de chérir sincèrement autrui et la sagesse qui comprend précisément le véritable mode d’existence des phénomènes.

De fait, quel est donc l’entraînement essentiel dans le Bouddhisme ? C’est de chérir les autres. Car nous ne sommes pas seuls à vouloir ressentir le bonheur et à vouloir éviter la souffrance : c’est un désir partagé par tous les êtres. Par conséquent l’essence du Bouddhisme est la compassion, l’inclination à chérir autrui et le souhait que tous les êtres puissent obtenir le bonheur désiré et éviter une souffrance indésirable. Pour développer ces qualités, il n’est pas suffisant de comprendre que, tout comme nous, les autres désirent obtenir le bonheur et éviter la souffrance ; il faut aussi réaliser combien profondément nous leur sommes redevables pour leur bonté. C’est en devenant conscients des gains et des bénéfices extraordinaires continûment reçus d’autrui, que nous produirons le désir de leur rendre leur bienveillance. Et cette immense gratitude envers les autres êtres nous permettra, à son tour, de développer la détermination de rendre accessible pour tous la libération de la souffrance et la jouissance d’un état de bonheur durable.

En quoi recevons-nous constamment des bénéfices d’autrui est décrit précisément et extensivement dans les enseignements du Bouddhisme. Le détailler ici prendrait toutefois trop de temps.

Le fait que nous recevions à chaque instant d’incomparables bénéfices des autres et la reconnaissance du lien étroit et indissociable qui nous rattache à tous les êtres sont les réalisations clés par lesquelles nous pourrons accéder directement au chemin des héroïques Bodhisattvas, les êtres destinés à devenir des Bouddhas. Sur la base de ces réalisations sera produite la gratitude qui nous poussera à endosser la responsabilité universelle de libérer tous les êtres de leurs souffrances. Cette pensée supérieure (Adhyāshaya) nous amènera alors à rechercher l’illumination complète, dans le but de concrétiser cette courageuse aspiration. Tel est l’incroyable vœu et l’incroyable détermination d’un Bodhisattva ; en d’autres termes, telle est la génération de Bodhicitta, l’esprit d’éveil.

Rechercher uniquement son propre bonheur ou même la libération individuelle du cycle des existences tandis que tous les autres sont en souffrances et n’obtiennent pas de bonheur durable n’est pas une pure attitude. La libération individuelle est indéniablement un objectif valable et y aspirer est certes une bonne motivation, pourtant cela reste insuffisant. C’est pourquoi il faut surmonter l’entier des comportements égoïstes visant notre propre personne comme objectif principal. À l’inverse, nous devrions adopter une attitude qui établit tous les autres êtres dans une position centrale et qui place le bien-être d’autrui en premier lieu.

Le but ultime que nous poursuivons est l’état de l’illumination complète (Samyaksambodhi). Cet état n’est rien d’autre qu’une condition dans laquelle toutes les fautes, jusqu’aux erreurs les plus subtiles, sont entièrement éliminées et dans laquelle toutes les qualités positives ont évolué au point de la perfection. Nous ne tentons pas d’accomplir l’illumination pour devenir « le meilleur » ou « le plus célèbre », bien au contraire, nous nous efforçons de l’atteindre car nous sommes conscients du fait que seul cet état nous donnera les moyens de réaliser le bien-être de tous. Voilà pourquoi nous essayons d’accomplir l’état d’illumination en suivant les enseignements de l’Être illuminé.

La bonne approche du Bouddhisme

Lorsque nous poursuivons des études dans le Bouddhisme et dans le Dharma, il est important de développer une motivation correcte et de viser le bon objectif. La démarche n’est pas exactement identique à celle des autres études.

Si nous étudions le Dharma, une motivation adaptée doit accompagner l’étude. En effet, il ne s’agit pas d’étudier le Dharma dans le seul but d’en savoir davantage et d’accumuler plus de connaissances. Nous étudions le Dharma pour en gagner un bénéfice concret ; pas simplement un quelconque bénéfice mais un gain de grande portée dont nous pourrons tirer profit pour toujours.

Comment pouvons-nous accomplir un gain d’une telle ampleur ? Nous le réaliserons en comprenant quelles sont les véritables racines de nos bonheurs et de nos souffrances, et en les transformant. Si nous ne connaissons pas les causes réelles du bonheur et de la souffrance ou si, bien que le comprenant, nous ne concrétisons pas les changements nécessaires, il sera alors impossible d’accomplir ce gain durable et de grande envergure, quand bien même nous nous y efforçons par toutes sortes d’autres méthodes.

S’engager dans les autres types d’études ne procurera pas un tel résultat. Quand nous suivons ces études, nous apprenons des matières variées mais nous ne retrouvons pas dans les connaissances acquises une telle relation directe aux causes véritables du bonheur et de la souffrance. Ces connaissances ne peuvent apporter aucun bénéfice sur le long terme. Nous pouvons éventuellement en obtenir un avantage temporaire, mais il est très difficile d’en acquérir un résultat durable pour toujours.

Quelles sont les véritables causes du bonheur et de la souffrance ? Le Dharma nous les explique ; et la façon de les traiter directement et de les transformer forme l’essence du Dharma. Voilà encore une des raisons pour lesquelles les études du Dharma produisent un résultat tangible et durable.

Parfois nous pensons que nos activités ordinaires portent des fruits réels et palpables tandis que les activités du Dharma restent plutôt abstraites et n’apportent pas de résultat tangible. La vérité est qu’une personne comprenant réellement ce qu’est le Dharma, et le mettant correctement en pratique, accomplira le meilleur résultat concret pour elle-même.

En revanche, si nous considérons comme Dharma ce qui n’a que peu à voir avec le vrai Dharma ou si nous en avons une approche erronée, nous risquons bien de voir tous nos efforts réduits à néant. Dans ce cas, au lieu d’obtenir des résultats concrets et bénéfiques, nous n’aurons fait que gaspiller beaucoup de temps et d’énergie en vain.

Si nous nous engageons correctement dans le vrai Dharma, il n’est rien qui ne puisse apporter de meilleurs résultats pour soi-même et pour les autres.

Nous pensons qu’une activité a du sens lorsqu’elle renforce notre sensation de bonheur et écarte notre souffrance, et nous pensons que d’autres facteurs sont inutiles ou mauvais s’ils aggravent notre situation. Il n’existe aucun autre critère pertinent pour distinguer ce qui est signifiant de ce qui est insignifiant, ce qui est utile de ce qui est inutile.

Expérimenter le bonheur et la souffrance dépend des causes du bonheur et de la souffrance. Ce qui nous relie directement à ces causes est le Dharma. Et par la pratique du Dharma, nous pouvons directement influencer les causes du bonheur et de la souffrance. En conséquent, il n’est rien de plus utile ni de plus efficace que de s’engager dans le Dharma.

La philosophie fondamentale du Bouddhisme enseignée par Bouddha est l’affirmation selon laquelle les vraies causes du bonheur et de la souffrance reposent dans notre propre esprit et que les objets extérieurs, bien que pouvant servir de conditions, n’en sont pas les causes réelles. D’autres personnes, par exemple, ne sont pas les véritables causes de notre bonheur ou de notre souffrance, ni ne l’est aucun autre objet – ni dieux, ni fantômes. À l’inverse, c’est dans notre continuum mental que nous trouvons les causes responsables de toutes nos souffrances et de tous nos bonheurs. Ce point est capital dans les enseignements du Bouddha. En comprenant que les causes du bonheur et de la souffrance résident dans notre esprit, nous nous efforcerons de les transformer pour accomplir le véritable bénéfice de soi-même et d’autrui.

Les enseignements du Bouddha présentent de nombreux aspects parmi lesquels certains sont fondamentaux ; il est essentiel de les comprendre correctement. Comme nous l’avons déjà mentionné, le but ultime et le point central du Dharma de Bouddha n’est rien d’autre que les êtres vivants. Certains pourraient penser que le vrai point central du Bouddhisme est le Bouddha ou le nirvana (la libération du cycle des existences), ou encore la paix de l’esprit. Tout cela est incorrect. Ce sont bien sûr des accomplissements de grande valeur mais le point central du Bouddhisme est de bénéficier aux êtres sensibles.

Lorsque nous parlons des « êtres » nous entendons toutes les créatures pourvues d’une conscience, leur permettant ainsi de ressentir le bonheur et la souffrance. Et de par l’existence des êtres, les enseignements et la pratique du Dharma deviennent pertinents. De fait, le Dharma n’existe qu’en relation avec les êtres.

Le contenu intégral du Dharma est une description précise de la situation des êtres, de leurs expériences de bonheur et de souffrance ainsi que des possibilités pour changer leur condition. C’est uniquement en relation avec les êtres que les explications du Dharma revêtent une grande signification. Les exposés sur la libération de l’existence cyclique conditionnée, ceux portant sur l’état de la boddhéité et tous les autres énoncés sont autant d’explications sur les divers états dans lesquels les êtres se trouvent immergés. Sans cette relation aux êtres sensibles, ils n’auraient pas la moindre signification.

Lorsque nous parlons de l’existence conditionnée, le samsara, nous décrivons la situation actuelle des êtres. Lorsque nous évoquons la libération, le nirvana, nous désignons aussi une condition que les êtres peuvent atteindre. Toutes ces explications ne sont rien d’autre que des descriptions d’états dans lesquels les êtres se trouvent ou qu’ils pourraient obtenir dans le futur.

Les Quatre Nobles Vérités (Chatwari Aryasatyāni) exposent précisément la situation des êtres. La Noble Vérité de la Souffrance (Doukha Ārya Satya) présente leur situation initiale. La Noble Vérité de l’Origine (Samouda Ārya Satya) décrit les causes de cette situation. La Noble Vérité de la Cessation (Nirodha Ārya Satya) montre la condition libérée des êtres, et la Noble Vérité du Chemin (Mārga Ārya Satya) explique la méthode valide qui leur permet d’atteindre l’état de la libération.

Lorsque nous évoquons l’état d’Arhat, cela fait référence à un état des êtres. Quand nous citons les Bodhisattvas, cela implique aussi un état des êtres. Si nous parlons de Chounyata nous décrivons encore, à un niveau plus profond, une condition des êtres. Ainsi le Dharma renferme une grande variété de termes ayant tous un lien direct avec les êtres sensibles. Par « pratique du Dharma » nous entendons le développement de l’amour (Maitri), de la compassion (Karouna), de la patience (Shānti), de la générosité (Dāna), de l’éthique (Shila) etc. Nous pouvons aisément comprendre que ces pratiques sont directement reliées aux êtres. Quand nous développons la compassion, cette compassion est tournée vers les êtres. De même, accroître l’amour n’est imaginable qu’en lien avec les êtres. La générosité également n’a de sens qu’en rapport avec autrui, en tant qu’aide directe aux êtres. L’étique n’est relevante qu’en liaison avec les autres car elle implique l’abandon des actions destructives et la pratique des actes bienfaisants. Par « actions destructives » nous entendons les activités nuisibles aux êtres, tandis que les « actes bienfaisants » représentent les activités qui leur sont bénéfiques. Conséquemment, pratiquer l’étique n’a de sens qu’en relation avec les êtres.

C’est pourquoi tous les enseignements et les pratiques du Dharma sont directement reliés à la situation des êtres. Puisque les êtres existent, le Dharma existe et, pour eux, il est utile et nécessaire que le Dharma existe. S’il n’y avait pas d’êtres vivants, il n’y aurait aucun besoin du Dharma. Le Dharma n’aurait pas la moindre utilité. Nous voyons de la sorte que le point central du Dharma n’est ni un dieu, ni le nirvana, mais seulement les êtres. Même le Bouddha n’en est pas le point central. En effet, un Bouddha est issu d’un être sensible et non l’inverse. La boddhéité, de même, n’est accessible qu’à travers les êtres sensibles et par rapport à ces derniers. Les êtres ne viennent pas à l’existence en raison du Bouddha, mais le Bouddha vient à exister en raison des êtres. En conséquence, ils forment le point central du Bouddhisme. Voilà un des plus importants aspects de la vue bouddhiste qu’il est fondamental de comprendre correctement.

À la question : « Quel est le point central du Bouddhisme ? » nous devrions pouvoir répondre directement. La réponse est, d’une part, que les êtres en sont le noyau central et, d’autre part, que les causes du bonheur et de la souffrance se trouvent dans notre propre esprit et qu’elles doivent être transformées. C’est là un autre point essentiel du Dharma.

Aussi longtemps que les défauts de l’esprit comme l’avidité (Rāga), la haine (Dvésha) et la confusion (Moha) resteront présents en nous-mêmes, notre état sera celui de l’existence cyclique conditionnée dans laquelle se trouvent les manifestations de toutes les souffrances. Lorsque l’esprit sera libéré des fautes telles que l’avidité, la haine et l’ignorance, nous parlerons alors de la libération, un état exempt de toute souffrance et caractérisé par une paix durable. Il serait erroné de développer une autre compréhension de ces points en pensant que nous vivons dans le samsara tant que nous restons dans ce monde, mais que nous vivrons au nirvana si nous nous déplaçons dans un autre monde. L’opinion selon laquelle nous sommes dans le samsara aussi longtemps que nous existons et passerons au nirvana lorsque nous cesserons d’exister, est également incorrecte.

Tant que les perturbations mentales demeureront dans notre esprit, nous resterons typiquement un être samsarique dans l’existence cyclique. Dès que nous aurons retiré les perturbations de notre esprit, nous serons libérés de la chaîne du karma, des kléshas et de la souffrance et, par cela, nous atteindrons le nirvana : l’état au-delà de la tristesse. Ceci ne signifie absolument pas que nous cessions d’exister. Nous continuerons d’exister, mais dans un état de liberté complète et de paix durable. Plus avant, lorsque même les empreintes les plus subtiles que peuvent laisser les perturbations dans l’esprit seront totalement éradiquées et que toutes les qualités mentales telles que la sagesse, la compassion, les capacités et les actions seront pleinement abouties, l’accomplissement alors obtenu sera celui de la boddhéité. Il est par ailleurs important de comprendre que « Bouddha » désigne un état d’esprit et non un autre monde ou une position à quelque part très haut dans l’espace. Bien que nous utilisions le terme « illumination », cela ne représente pas nécessairement un phénomène constitué de lumière ou lumineux. Rien de tout cela n’est la signification de l’illumination.

La boddhéité est l’état d’un être lorsque tous les obstacles, des plus grossiers aux plus subtils, ont totalement pris fin et lorsque toutes les vertus ou les bonnes qualités sont développées au niveau de la perfection, de l’infini et de la spontanéité. C’est ce qu’indique du reste le terme sanscrit « Bouddha », dont la signification est « pleinement éveillé » ou « pleinement épanoui ».

Le fait que les fautes dans notre esprit ne soient pas de la nature de l’esprit et que celui-ci puisse, par conséquent, être délivré de ses erreurs et de ses obstacles, constitue un autre point essentiel dans la vue bouddhiste. Il est donc possible d’éliminer toutes les fautes et les obstacles car ils ne sont pas de la nature même de l’esprit.

En outre, nous devons comprendre que les enseignements donnés par Bouddha comprennent une grande variété d’aspects. Il n’existe pas qu’un seul Dharma, figé indépendamment de sa pertinence ou de son impertinence vis-à-vis des êtres. Au contraire, en fonction des diverses capacités, caractéristiques, prédilections et besoins des êtres existent les enseignements concordants des Bouddhas. Celui qui comprend correctement ce point ne peut pas devenir un fanatique d’une forme spécifique du Dharma. Sans cette compréhension, l’ignorance dans l’esprit créera un sentiment de fort attachement et d’adhésion exclusive à un certain aspect du Dharma. Le risque de développer par une telle perception des vues fanatiques sectaires est bien réel. Semblables visions erronées seront sources de disputes et de conflits.

Les êtres vivants se distinguent par leurs différentes dispositions, capacités et inclinaisons. Bouddha, dans sa grande compassion, sa grande sagesse et sa grande habileté, donna une large diversité d’enseignements adaptés à tous.

Une autre qualité particulière de l’enseignement du Bouddha tient dans le fait que la validité de ses enseignements et la valeur de sa pratique reposent sur les fondements d’une solide base logique et sur l’expérience personnelle. L’enseignement n’est pas jugé en fonction d’une caractéristique du Maître telle que son origine ethnique, son apparence physique ou sa couleur, son âge, son rang social, ses titres, sa popularité etc., mais plutôt sur la base de la justesse de sa signification, de sa conformité avec la réalité et de ses effets positifs sur l’esprit des solliciteurs. Si la signification est irrationnelle et manque d’une essence véritable, peu importe qui l’enseigne et sous quelle forme éloquente ou poétique, elle restera de faible utilité pour un étudiant et un pratiquant du Dharma. C’est pourquoi l’approche correcte du Dharma ne consiste pas à croire et à suivre aveuglément tout ce qui est enseigné. L’Être Illuminé le signifie du reste très clairement par ces paroles : « Oh, moines et sages, tout comme un chercheur d’or examine l’or en le brûlant, en le coupant et le frottant, de même, évaluez mes enseignements pour ensuite les accepter ; mais ne le faites pas uniquement par respect pour moi. »

Pour un vrai pratiquant, l’approche correcte du Dharma est celle d’un malade en quête d’un traitement. Trois facteurs sont indispensables à sa guérison : un docteur qualifié, le bon traitement médical et l’assistance médicale (infirmières etc.). La motivation ou l’impulsion que doit développer le patient est de se savoir malade et d’aspirer à la guérison complète. Il sera alors déterminé à rechercher l’aide nécessaire pour recouvrir la santé. Cette quête n’est pas dévolue à une tradition, elle n’est pas dédiée à l’amusement ni à l’obtention de la célébrité, d’une bonne réputation, de richesses etc. Elle naît du simple fait qu’on ne peut pas vivre en étant malade, nous aspirons du fond du cœur à rester en bonne santé.

Exactement ainsi devrait être la sincérité de notre motivation pour le Dharma, en voyant que les racines de nos souffrances sont à l’intérieur de nous-mêmes et que le Dharma est l’unique traitement pour nous guérir. En conséquence, nous recherchons le Bouddha en tant que médecin parfaitement qualifié, le Dharma en tant que traitement valide parfait, et la Sangha comme la plus utile et la plus parfaite équipe médicale.

La recherche sincère de ces trois aides indispensables est dénommée la PRISE DE REFUGE (Triratna Śaraṇam Gaman) dans les TROIS JOYAUX ! Par cette pure attitude commencent toutes les pratiques du Dharma.

Bouddham sharanam gacchaami

Dharmam sharanam gacchaami

Sangham sharanam gacchaami

Je prends refuge dans le Bouddha

Je prends refuge dans le Dharma

Je prends refuge dans la Sangha

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